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Cioran parle - Entretien exclusif
Un entretien exclusif avec le plus secret des écrivains français
Par son silence, il a laissé se développer autour de lui des réputations fantaisistes: "nihiliste", "masochiste désespéré", "démolisseur d'illusions". Il vient de publier un essai, "Excercices d'admiration" " (Gallimard), qui sera suivi dans le courant de l'année d'"Aveux et anathèmes" (Gallimard).
Une aubaine puisque le plus secret des grands écrivains de langue française refuse de se dévoiler hors de ses livres. Il déteste les entretiens, fuit la presse...et préfère qu'on lise les propos qui suivent comme le fruit d'un entretien amical. Sans les traduire ni les interpréter.
Comme sa réputation ne l'indique pas, Cioran est un homme d'une grande gaieté et d'une exquise courtoisie. Lui qui vous exécute Dieu et création dans un aphorisme de deux lignes, vous ouvre, à deux pas de l'Odèon, la porte de sa caverne à livres avec un regard malicieux et le geste empressé et hospitalier. C'est un jeune homme de soixante-dix ans (sic!), aux traits fins, aux yeux clairs, à la crinière blanche. Un lion blanc. Comme on est loup blanc. Un penseur? Un philosophe? Un écrivain , en tout cas. Il vous donne l'enivrant pressentiment qu'il se trouve ici-bas depuis le début des temps, sous des identités à peine différentes, à montres la garde devant la futilité du monde armé du seul boomerang de sa pensée qui prévoit tout, y compris la vanité de toute pensée.
Cioran n'a pas l'habitude de recevoir les journalistes. Il lui semble avoir tout dit dans ses livres. Quant aux détails autobiographiques, ils sont également contenus dans l'œuvre. De son air goguenard, suprême politesse destinée à alléger la gravité de ses propos, Cioran confesse:
- "Je crois qu'il n'y a qu'une chose qui explique et justifie les livres: leur valeur thérapeutique. Si je n'avais pas écrit, j'aurais pu faire des choses monstrueuses. Or, il vaut mieux, plutôt que de casser la geule d'un type qui vous déplaît, l'attaquer par des aphorismes. La seule fonction de l'écriture: une vengéance sans risque. On n'attaque pas seulement des personnes (d'ailleurs elles survivent à vos attaques) mais surtout Dieu. Ce sont les mauvais sentiments qui passent dans les livres. Tout ce que j'ai écrit part d'une expérience personnelle. Pour chaque ligne de mes livres, je peux dire l'événement, l'heure et le jour qui m'ont inspirée. Tout les livres ne sont que des confessions plus ou moins camouflées. Je vis l'écriture comme une action: lorsqu'on a écrit deux ou trois trucs dans lesquels on excécute l'Univers, on peut aller se promener."
Ionesco évoque souvent la stupéfaction qui s'empare de lui devant cette faculté de Cioran: se remettre à vivre plutôt joyeusement après avoir prouvé de façon irréfutable l'inanité de toute existence. La scène est celle d'une promenade commune, rive gauche. Cioran accable la Création, Dieu et ses hommes, leur prédisant une vie prochaine après une vie dénuée de sens. C'est brilliant, incontestable, définitif. Ionesco se laisse convaincre, s'attriste et sombre dans la mélancolie. Cioran considérant le sujet épuisé, se met à admirer le paysage et à échafauder des project divers. Son compagnon a généralement besoin de quelque jours pour se remettre et trouver "quelques nouvelles raisons d'espérer." Cioran ne "fait" pourtant pas dans la provocation. Il s'agit juste d'une parfaite osmose entre son être et le monde. Cioran, c'est Faust et Méphisto confondus, Jeckyll-qui-vit et Hyde-qui-écrit. C'est un sage ascétique (depuis qu'il a renoncé au café, à l'alcool et aux cigarettes, il n'écrit que des aphorismes), véritable incarnation et sanctification du doute.
Il est aussi le contraire: un étudiant incroyablement jeune par sa curiosité et son humour malicieux, un iconoclaste provocateur dans la plus pure tradition des universités allemandes, un esprit en éveil qui prend pour un affront personnel et un défi à relever la fatuité lénifiante de la moindre certitude. C'est celui qui se rit de la folie du monde parce que, dans son intégrité, il n'est jamais tombé dans le piège des vanités habituelles; c'est celui qui ne saurait espérer puisque sa clairvoyance lui révèle qu'il n'y a pas de salut.
Pour lui, l'écrivain doit renoncer à avoit une famille. Il doit aussi faire voeu de pauvreté. Il l'a fait lui-même avec une rigueur rare. Il parle avec humour de ses décennies de vaches enragées:
- "Pendant vingt ans, avec presque rien, ma substance se trouvait assurée. Je vivais dans un hôtel bon marché et je mangeais dans les restaurants universitaires. Un des jours les plus sombres de ma vie a été celui où l'on m'a convoqué à l'université pour m'annoncer que la limite d'âge pour accéder aux foyers d'étudiants était de vingt-sept ans. Comme j'en avais quarante, cétait fini. Tous mes projets, tout mon avenir, se sont écroulés ce jour-là. Je me voyais si bien en éternel étudiant, raté et pauvre, traînant avec d'autres déchets de mon espèce au quartier Latin. Cela correspondait si bien à ma vision du monde!... Je me disais: il faut tout faire sauf travailler. Par là, j'entendais: faire un travail qui ne vous plaît pas. Pour moi, c'était le bureau, l'enseignement. Je ne trouve pas que la vie vaut la peine d'être vécue s'il faut acomplir un travail qui ne vous intéresse pas. Et pourtant, quatre-vingt dix-neuf pour cent des gens font des choses qu'ils n'aiment pas. La vie ainsi vécue n'a aucun sens. Elle condamne le monde, la société et l'homme. Si c'est pour en arriver là, il valait mieux rester à l'état de nature."
Et Cioran d'évoquer Dostoïevski qui a accepté d'être pauvre et sans famille. Le plus grand de tous avec Shakespeare qui a sur lui "l'avantage d'être poète et d'écrire en anglais". Les deux écrivains qui sont arrivés jusqu'aux dernières limites de l'expérience humaine. Plus loin, il n'y a que le vertige.
- "Après Shakespeare, on aurait dû arréter d'écrire des pièces de théâtre et apres Dostoïevski, arrêter d'écrire des romans. Mais l'homme est condamné: il ne peut qu'avancer et se briser. Je peux signer cela devant notaire. Je sais que l'avenir nous condamne. Je ne donnerai pas de délai car je ne veux pas me compromettre. Pour la date, j'hésite, pour la chose: non!"
Les entretiens que Cioran accorde sont rarissimes. Il s'interdit l'une des plus fréquentes illusions de notre temps: se prendre au sérieux avec la complicité des médias. Si ce refus profite à l'œuvre, il laisse dans l'ombre les qualités humaines de l'écrivain. Parce qu'on ne peut pas imaginer la chaleur de Cioran, l'entretien qui se prolonge pendant des heures, son hospitalité qui concilie l'élégance et la simplicité. Cioran qui vous offre de l'eau-de-vie roumaine. Cioran qui, vif comme un lutin, vous déniche, sans regarder, dans ses montagnes de livres une minuscule brochure. Cioran, enfin, qui vous parle plus volontiers d'autres que de lui. Son dernier livre s'intitule justement Exercices d'admiration. Des pages dédiées à Beckett, Joseph de Maistre, Valéry, Saint-John Perse, Michaux. Le second livre (qui paraîtra également cette année chez Gallimard) est un florilège d'aphorismes intitulé Aveux et anathèmes. Une double nature s'y confirme; pour l'humanité l'anathème, pour l'individu, parfois, miraculeusement: l'admiration.
Un autre sortilège dont on devient conscient en rencontrant Cioran, c'est la perfection de sa langue. Dès qu'il exprime une idée, il le fait avec une si diabolique exactitude que vous en êtes prisonnier. On est tenu de le citer au mot près:
- "J'ai le complexe de l'étranger: je sais que je ne peux pas me permettre toutes les audaces, les oublis et les violences en français. Toutes ces choses que l'on fait naturellement, d'instinct, dans sa langue, on en est conscient dans une langue étrangère, même si on la possède parfaitement. On reste toujours conscient du fait que les mots existent indépendamment de vous. Cet intervalle entre vous et l'instrument-verbe est la raison pour laquelle il y a très peu, presque pas de poètes écrivant dans une autre langue que leur langue maternelle. Le Rilke des Cahiers de Malte voulait à tout prix être un poète français. Il connaissait très bien la langue mais son pari était impossible. En tant que poète, Rilke n'existe pas par ses poèmes français. Il y a un côté puéril, il y a cet intervalle entre le sujet et l'écriture. Lorsque les mots existent en dehors de vous, il est impossible de faire de la poésie avec. La poésie est en vous. Un métèque doit être conscient que, dans sa nouvelle langue, il ne peut pas exprimer cette mort souterraine de l'âme qu'est la poésie. On peut devenir poète dans une langue qu'on apprends à cinq ans. Ensuite, c'est trop tard."
Pour Cioran, la limite la plus audacieuse que peut atteindre un écrivain dans une nouvelle langue est l'ironie. Il ne s'en prive pas. Avec une persévérance qui fait croire que l'ironie n'est que le déguisement poli d'un désespoir si profond qu'il sombrerait autrement dans le grotesque: "L'ironie, c'est le vice de la nuance." Une fois de plus, Cioran sacrifie à sa double nature: admirant les Grecs anciens, passés maîtres dans le domaine, les seuls à avoir été ironistes et penseurs et admettant en même tamps que la philosophie hindoue, la plus grande, celle qui aborde tous les grands problèmes, manque totalement d'humour.
Connaître Cioran après l'avoir lu confirme une hypothèse: il existe un prototype de sage occidental. Avec sa double nature qu'il qualifie lui-même d'emballée et déçue, tel ce Bouddha auquel il est venu par déception et qu'il ne peut pas suivre par faculté d'être déçu. Il a eu son désert, ses déserts. A plus d'un tournant, le français a failli perdre cet écrivain formidable et Cioran a failli rater le français auquel il voue un véritable culte.
Pour commencer, il est né à Rasinari, en Transylvanie. On y parlait le hongrois, l'allemand et le roumain mais guère le français. A dix-sept ans, l'écrivain arrive à Bucarest pour y mener des études de philosophie. Il découvre un nouvel univers: tout le monde parle français. En société, le sujet de conversation favori, c'est le dernier roman paru à Paris. Evidemment, tout le monde l'a lu en original:
- "L'importance du français dans la Roumanie d'avant-guerre est à peine imaginable; il y avait trente librairies françaises à Bucarest et un grand quotidien rédigé en cette langue. Dans l'exportation des ouvrages en français, la Roumanie venait en deuxième position, juste après la Belgique."
Pour le jeune Cioran c'était un bouleversement. Il venait de quitter Sibiu (connu également sous le nom d'Hermannstadt), centre de culture allemande, très important, où il avait surtout fait connaissance avec la philosophie. Plus tard, seulement, il s'intéressa à la poésie, à la littérature et à la mystique.
- "La philosophie a été pour moi une grande déception. Je ne l'ai compris qu'après m'y être totalement confiné pendant des années. C'est une discipline dangereuse car le contact avec elle engendre un mépris totale pour tous ceux qui sont en dehors. Ceux qui la pratiquent, étudiants et professeurs, sont le plus souvant des types
prétentieux. La philosophie flatte l'orgueil; elle vous donne une idée fausse de vous et du monde. Il faut l'avoir connue mais uniquement pour la dépasser. Elle vous ouvre des horizons mais ce qui compte avant tous c'est le contact avec la vie, les épreuves. La philosophie ne vous aide, au mieux, qu'à formuler. Le langage philisophique est peu approprié aux experiences strictement personnelles. En philosophie par exemple la douleur n'est pas admise. On laisse "ça" aux curés et aux mauvais écrivains."
Parmi ses expériences personnelles, Cioran place au premier plan la perte du sommeil. Il s'en excuse avec un sourire: il est conscient de mettre ses insomnies partout mais il s'agit d'une expérience essentiele. La perte du sommeil lui a fait réaliser la continuité tragique, hallucinante, du temps, entraînant un sentiment de non-appartenance au monde. Pendant ces nuits blanches, il a eu la révélation de l'inutilité de la philosophie. Il se promenait seul dans les rues de Sibiu:
- "Il n'y avait dans sa ville que les putains et moi. Depuis, je leur voue un grand respect. Nous veillions ensemble sur le sommeil des autres. Pour moi, c'était une époque tragique. J'avais fini mes études mais je n'étais bon à rien. J'ai enseigné la philo pendant une année. Après mes nuits blanches, j'allais au lycée de mauvaise humeur et je proférais des insanités. Je tournais tout au ridicule. Deux ou trois élèves suivaient. Les autres ricanaient. Je ne voyais pas du tout ce que j'allais devenir."
Fort opportunément, une bourse de L'institut français de Bucarest lui permet de partir pour Paris. Cioran avait déjà publié cinq livres en roumain dont Le crépuscule des pensées, qu'il considère comme la préhistoire de sa création, sa première incarnation. Dès son arrivée à Paris, en 1937, Cioran disposait d'un alibi: écrire une thèse. Imposture. Pendant dix ans, il n'a pas cherché un seul sujet, persuadé qu'il ne serait jamais capable d'écrire en français.
Sa bourse lui permettant de vivre, il se met (étrangement) à étudier l'anglais. Pendant l'Occupation, il fréquente la Bibliothèque américaine restée (curieusement) ouverte. Et il suit les cours de l'agrégation.
- "Dans ma mémoire, le temps sinistre de l'Occupation représente la formidable rencontre avec les poètes anglais. Je lisais avec mon dictionnaire anglo-roumain, une antiquité introuvable publiée en 1880 à Bucarest, les Lessen Poets, les poètes mineurs anglais qui feraient les très grands poètes de toute autre langue..."
En 1947, événement inattendu. Dans un village près de Dieppe, où, pour s'amuser, il s'exerce à traduire Mallarme en roumain, il prend soudain conscience qu'il ne quittera plus la France et qu'il lui faut désormais écrire en français. Un véritable réveil mystique. Il rentre immédiatement à Paris et rédige dans la foulée la première version de Précis de décomposition initulé à l'époque Exercice négatif. Cioran a trente-sept ans. Le manuscrit, envoyé chez Gallimard est aussitôt accepté par Raymond Queneau. Cioran fait lire le texte à un ami. Verdict : "ça sent le métèque." Verdict qui le décide à réécrire le livre. Il le fera trois fois et s'emploie jour et nuit, à pénétrer les secrets du français. Pour y arriver, il renonce complètement au roumain. Il comprend qu'il est dans la bonne voie quand, dans ses rêves, il entend son père lui parler français.
- "Changer de langue pour un écrivain est une phénomène aussi grave que pour un homme de changer de religion, disait Simonne Weil. L'écrivain retire l'illusion d'une nouvelle vie, d'un nouvel univers. Je suis formel: si un écrivain étranger (j'entends par là uniquement ceux qui ont déjà publié dans une autre langue, qui ont eu une première carrière d'écrivain) veut se mettre au français, il lui faut complètement écarter la langue maternelle. On me dit parfois: "Mais ma femme veut parler dans notre langue." Je réponds: "Un seul remède: le divorce."
Pendant cette étude "obsessionelle" du français, Cioran rencontra un personnage surprenant: un Français, très aisé, qui n'avait jamais travaillé de sa vie, grand connaisseur de la langue basque sur laquelle il publiait de temps à autre un article. Ce mutilé de la Première Guerre mondiale, étrange et cultivé, qui parlait la langue écrite du XVIIIe siècle, avait suivi les cours de Bergson, et entretenait, après le basque, une seule passion: la langue française.
- "Au bordel, il reprenait les putains qui faisaient des erreurs de concordance des temps. Il hurlait quand on n'employait pas correctement l'imparfait du subjonctif. Je lui posais toujours des questions quand j'avais des dificultés avec mon manuscrit. Un jour, je l'ai invité dans un café du quartier Latin pour lui lire quelques pages du Précis. Il s'est endormi à la première. Cela m'a fichu un terrible cafard. Il a pourtant eu une grande influence sur moi: il avait la passion du mot, l'obsession de la pureté de la langue. Il était un example de cette formidable passion qui a toujours existé entre le Français et sa langue. Un des derniers représentants de la langue vénérée comme absolu. Ce type avait le vice de la langue. Il vivait pour le français."
Et Cioran, qui annonce avec un sourire détaché la fin des hommes, de s'assombrir en évoquant le crépuscule du français et la disparition de cette bourgeoisie cultivée qui assurait la transmission de la langue un peu partout dans le monde. Il enchaîne en citant Erwin Chargaff, ce nobélisable de Czernowics, ville de Celan, petite localité de Bucovine et en même temps formidable centre de culture allemande.
- "Chargaff disait: "Ne mérite d'exister que ce qui est exprimé en français." C'était un personnage intéressant. Je le citais dans un article publié dans la NRF et je vais lui dédier un chapitre de mon prochain livre. Je trouve qu'écrire à l'infini n'a pas de sens. De chaque livre, il ne subsiste que quelques lignes. Alors, à quoi bon de multiplier les livres? Mais comme je n'avais rien à faire, j'ai écrit ce livre. Faut bien faire semblant de se remuer un peu. Avec l'âge, on devient fatigué. Et moi, j'ai toujours été un peu las."
Cioran évoque à propos de Michaux, la race des fatigués-nés. Sans s'y inclure. Qu'est-il celui que la pudeur empêche de se définir? Un déçu-né? Un désespéré-né? Il se dit en proie au cafard métaphysique, ce cafard sans raison qui n'est au fond que l'affection de tous les mortels lucides. Tous ses actes en sont marqués et pourtant son gai désespoir est communicatif et généreux.
- "On me dit souvant: "Malgré ce que vous écrivez, vous êtes un des hommes le plus gais." J'ai beaucoup ri en effet dans ma vie mais cela ne prouve rien. Rire est un acte libérateur. Je viens de recevoir une lettre de Roumanie. D'un ami qui pense au suicide. Il me demande conseil. Je lui ai répondu: "si tu ne peux plus rire, fais-le!" Le rire c'est un acte de supériorité, un triomphe de l'homme sur l'univers, une merveilleuse trouvaille qui réduit les choses à leurs justes proportions."
Il a fallu de l'humour à Cioran pour supporter toutes les années de misère où, solitaire et indomptable, il édifiait son œuvre. Le Précis de décomposition, paru en 1949, fit un certain bruit.
- "On en parle quelque mois. Le deuxième livre, Syllogismes de l'amertume fut publié par Gallimard à contre-coeur. Ce fut un échec absolu, un livre mort-né qui ne s'est pas vendu pendant vingt ans. Ce qui m'étonne encore; c'était pourtant un livre très bon marché. Mes amis me faisaient la leçon: "Ce n'est pas un livre serieux, il va vous compromettre." J'ai rencontré un jour un ami philosophe dans la rue. Il me l'a dit vertement: "Ce livre est indigne de vous." Moi, je n'étais pas si sûr... La suite de l'histoire est intéressante, surtout pour les jeunes. En Allemagne, le directeur littéraire de Rowohlt qui devait publier les Syllogismes, les a qualifiés de "fonds de tiroir". Furieux, il a renvoyé son contrat à Gallimard, précisant qu'il ne voulait plus rien publier de moi. Le Précis de décomposition avait déjà été un échec en Allemagne. Vingt articles. Tous mauvais. Vingt ans après, on l'a publié en livre de poche. Ce fut un succès immédiat. Grâce surtout aux jeunes lecteurs. C'est uniquement depuis cette réédition qu'on parle de moi. Mes premiers lecteurs ont été des lycéens. C'est une tendance qui ne s'est pas démentie depuis. J'ai rencontré certains de mes lecteurs. Leurs professeurs les avaient pourtant mis en garde: tout ce que j'écrivais était superficiel. En Allemagne comme en France il y a eu ce même phénomène: l'écho est venu vingt ans après grâce aux jeunes. C'est un phénomène de génération. On a d'ailleurs souvent dit que mon public, c'était la jeunesse désaxée."
A l'heure de quitter Cioran, les bras chargés de livres (car jamais il ne vous laisserait partir sans un exemplaire des textes dont il vous a parlé et que vous ne connaissez pas encore), on s'ennuie déjà de lui. De cette sérénité relative qui est pour d'autres un triomphe mais qui n'est pour lui qu'un "calvaire réussi".
Entretien avec Anca Visdei
Les Nouvelles Littéraires, 02/1986
Gevierendeeld: Zwart en stralend
Cioran : een duister denker. Wie hem voor het eerst leest, weet niet of hij hem ernstig moet nemen. Want wat doe je bij een eerste lezing met een gedachte als
"de dood is het degelijkste dat het leven tot nog toe heeft uitgevonden"?
Zoals in zijn andere werken, brengt Cioran ook in zijn Ecartélement, zijn sombere, pessimistische nihilisme tot uitdrukking. "De grootste prestatie van mijn leven is dat ik nog in leven ben."
En : "Als men feilloos waarnam wat men is, dan had men nog net het hart om te gaan liggen, maar zeker niet om op te staan."
Dit is een meditatieboek vol (soms glanzende) aforismen die men even aandachtig en bedachtzaam dient te lezen als de Pensées van Pascal. Men houdt ervan, of men houdt ze ver van zich.
Naast die aforismen, ook een even intelligente als kontroversiële filosofie van de geschiedenis, en gedachten over verdraagzaamheid die elk konformistisch lezer waarschijnlijk doen kokhalzen : over de beschaafden die, uit zwakheid, de verdraagzaamheid hebben uitgevonden, en daaraan te gronde zullen gaan; de verdraagzaamheid als koketterie van stervenden.
De vertaling is zeer goed maar toch vond ik er dat typische Cioran-aksent van de oorspronkelijke teksten niet in terug : dat vreemde aksent van een Roemeen die op latere leeftijd (feilloos) Frans leerde, en dat zo eigen en zo onvertaalbaar is.
Paul Janssen
Emile M. Cioran, Gevierendeeld, De Arbeiderspers, Amsterdam, 1995, 163 pag.
ISBN 90-295-1025-0
Verscheen in TeKoS (Teksten, Kommentaren en Studies), nr.85, 1997
"de dood is het degelijkste dat het leven tot nog toe heeft uitgevonden"?
Zoals in zijn andere werken, brengt Cioran ook in zijn Ecartélement, zijn sombere, pessimistische nihilisme tot uitdrukking. "De grootste prestatie van mijn leven is dat ik nog in leven ben."
En : "Als men feilloos waarnam wat men is, dan had men nog net het hart om te gaan liggen, maar zeker niet om op te staan."
Dit is een meditatieboek vol (soms glanzende) aforismen die men even aandachtig en bedachtzaam dient te lezen als de Pensées van Pascal. Men houdt ervan, of men houdt ze ver van zich.
Naast die aforismen, ook een even intelligente als kontroversiële filosofie van de geschiedenis, en gedachten over verdraagzaamheid die elk konformistisch lezer waarschijnlijk doen kokhalzen : over de beschaafden die, uit zwakheid, de verdraagzaamheid hebben uitgevonden, en daaraan te gronde zullen gaan; de verdraagzaamheid als koketterie van stervenden.
De vertaling is zeer goed maar toch vond ik er dat typische Cioran-aksent van de oorspronkelijke teksten niet in terug : dat vreemde aksent van een Roemeen die op latere leeftijd (feilloos) Frans leerde, en dat zo eigen en zo onvertaalbaar is.
Paul Janssen
Emile M. Cioran, Gevierendeeld, De Arbeiderspers, Amsterdam, 1995, 163 pag.
ISBN 90-295-1025-0
Verscheen in TeKoS (Teksten, Kommentaren en Studies), nr.85, 1997
Entretien avec Aurel Cioran
Mutti: Dans la nouvelle nomenclature des rues de Bucarest, on trouve aujourd'hui le nom de Mircea Eliade, mais à Sibiu, il n'y a pas encore de rue portant le nom d'Emil Cioran. Que représente Cioran pour ses concitoyens de Sibiu à l'heure actuelle?
Aurel Cioran: Donner un nom à une rue ou à une place dépend des autorités municipales. Normalement, il faut qu'un peu de temps passe après la mort d'une personnalité pour que son nom entre dans la toponymie. Quant à ce qui concerne les habitants de Sibiu et en particulier les intellectuels locaux, ils ne seront pas en mesure de donner une réponse précise à votre question.
Mutti: Je vais vous la formuler autrement. Dans une ville où il y a une faculté de théologie, comment est accueilli un penseur aussi négativiste (du moins en apparence...) que votre frère?
Aurel Cioran: Vous avez bien fait d'ajouter "en apparence". Dans un passage où il parle de lui-même à la troisième personne et qui a été publié pour la première fois dans les "Œuvres complètes" de Gallimard, mon frère parle très exactement du "paradoxe d'une pensée en apparence négative". Il écrit: "Nous sommes en présence d'une oeuvre à la fois religieuse et antireligieuse où s'exprime une sensibilité mystique". En effet, je considère qu'il est totu-à-fait absurde de coller l'étiquette d'"athée" sur le dos de mon frère, comme on l'a fait depuis tant d'années. Mon frère parle de Dieu sur chacune des pages qu'il a écrites, avec les accents d'un véritable mystique original. C'est justement sur ce thème que je suis intervenu lors d'un symposium qui a eu lieu ici à Sibiu. Je vais vous citer un autre passage qui remonte à 1990 et qui a été publié en roumain dans la revue Agorà: "Personnellement, je crois que la religion va beaucoup plus en profondeur que toute autre forme de réflexion émanant de l'esprit humain et que la vraie vision de la vie est la vision religieuse. L'homme qui n'est pas passé par le filtre de la religion et qui n'a jamais connu la tentation religieuse est un homme vide. Pour moi, l'histoire universelle équivaut au déploiement du péché originel et c'est de ce côté-là que je me sens le plus proche de la religion".
Mutti: Parlons un peu des rapports entre Emil Cioran et les lieux de son enfance et de sa jeunesse. Vous demandait-il de lui parler de Rasinari et de Sibiu?
Aurel Cioran: Il se souvenait de choses que moi j'avais complètement oubliées. Un jour, il m'a dit au téléphone: "Je vois chaque pierre des rues de Rasinari". Pendant toute sa vie, il a conservé en son fors intérieur les images avec lesquelles il a quitté la Roumanie.
Mutti: Il n'a jamais manifesté le désir de revenir?
Aurel Cioran: Quand nous nous sommes séparés en 1937, il m'a dit, en avalant sa salive, dans le train: "Qui sait quand nous nous reverrons". Et nous ne nous sommes revus que quarante ans plus tard, mais pas dans notre pays. Il a toujours désiré revenir. En 1991, il a été sur le point de s'embarquer pour la Roumanie. C'est alors que la maladie l'a frappé, qu'il a dû rentrer à l'hôpital. Dans ces derniers moments, il a été contraint d'utiliser une chaise roulante. Il craignait forcément de voir une réalité toute autre, s'il était revenu. Et effectivement il y a eu beaucoup de changements; à Rasinari, la composition sociale a complètement changé: quasi la moitié des habitants du village travaillent à la ville, ce qui conduit forcément à un changement de mentalité. Tout est bien différent du temps où nous étions adolescents. A Rasinari, nous étions des gamins de rue, nous allions en vadrouille toute la journée à travers champs, forêts et rivières...
Mutti: ... et à Coasta Boacii.
Aurel Cioran: Oui, en effet, il évoquait sans cesse, avec énormément de regrets, ce paradis qu'était Coasta Boacii. "A quoi bon avoir quitté Coasta Boacii?", disait-il. Ensuite, il y avait ce pacage, près de Paltinis, où nous nous rendions tous les étés. Nous y restions un mois, dans une baraque tellement primitive, située dans une clairière où régnait une atmosphère extraordinaire.
Mutti: Vous avez été très proche de votre frère non seulement dans les années d'enfance mais aussi pendant votre adolescence et votre jeunesse. Parlez-moi de vos expériences communes...
Aurel Cioran: Nous assistions aux cours de Nae Ionescu à l'Université. Ce professeur était une figure extraordinaire! Beaucoup de gens venaient l'écouter et pas seulement des étudiants. Mon frère y retournait même après avoir quitté l'université, pour rendre visite au professeur. Un jour, dès que la leçon fut terminée, Nae Ionescu a demandé: "De quelles choses devrais-je encore parler?". Et mon frère, spontanément lui a répondu: "De l'ennui". Alors Nae Ionescu a prononcé deux leçons sur l'ennui. Par la suite, ses adversaires ne sachant plus quelles armes utiliser pour l'attaquer, parce qu'il était le maître à penser de toute la jeune génération d'intellectuels qui soutenaient le "Mouvement Légionnaire", ils l'ont accusé d'être... un plagiaire! Ce genre d'attaques est une manifestation infernale... L'oeuvre d'une mafia de criminels, qui a commencé par s'attaquer à Heidegger, puis à chercher à faire le procès d'Eliade...
Mutti: ... et même de Dumézil!
Aurel Cioran: Toujours sous prétexte d'antisémitisme. En Roumanie, à l'époque, il y avait bien sûr de l'antisémitisme, en réaction à l'arrivée massive d'un million de juifs venus de Galicie. En ce temps-là, c'était un véritable problème. Mais j'ai l'impression que cette manoeuvre visant à criminaliser Eliade, Noica et les autres intellectuels de la "jeune génération" produira des effets contraires à ceux désirés.
Mutti: Vous avez milité dans le Mouvement Légionnaire. Avez-vous connu Corneliu Codreanu?
Aurel Cioran: C'était un homme exceptionnel à tous points de vue. Il avait du charisme. J'ai souvent dit qu'il était un trop grand homme pour le peuple roumain, trop sérieux, trop grave. Il voulait une réforme radicale, basée sur la religion. Il était un esprit très intensément religieux. Il y a encore une chose qui m'impressionne profondément aujourd'hui: la manière dont le Mouvement Légionnaire abordait les problèmes économiques. Le Mouvement avait ouvert des restaurants, des réfectoires, où l'on vous servait un très bon repas, avec du vin en quantité limitée. L'idée qui me paraissait extraordinaire, c'est que les prix n'étaient pas fixés. Chacun payait selon ses propres moyens ou selon son bon plaisir.
Mutti: Où avez-vous connu le Capitaine?
Aurel Cioran: A Bucarest, parce que j'y étudiait la jurisprudence. Mais je l'ai rencontré deux ou trois fois dans un camp de travail légionnaire. C'était un homme exceptionnel à tous points de vue.
Propos recueillis à Sibiu le 3 août 1995 par Claudio Mutti et parus dans la revue Origini, n°13/février 1996
Aurel Cioran: Donner un nom à une rue ou à une place dépend des autorités municipales. Normalement, il faut qu'un peu de temps passe après la mort d'une personnalité pour que son nom entre dans la toponymie. Quant à ce qui concerne les habitants de Sibiu et en particulier les intellectuels locaux, ils ne seront pas en mesure de donner une réponse précise à votre question.
Mutti: Je vais vous la formuler autrement. Dans une ville où il y a une faculté de théologie, comment est accueilli un penseur aussi négativiste (du moins en apparence...) que votre frère?
Aurel Cioran: Vous avez bien fait d'ajouter "en apparence". Dans un passage où il parle de lui-même à la troisième personne et qui a été publié pour la première fois dans les "Œuvres complètes" de Gallimard, mon frère parle très exactement du "paradoxe d'une pensée en apparence négative". Il écrit: "Nous sommes en présence d'une oeuvre à la fois religieuse et antireligieuse où s'exprime une sensibilité mystique". En effet, je considère qu'il est totu-à-fait absurde de coller l'étiquette d'"athée" sur le dos de mon frère, comme on l'a fait depuis tant d'années. Mon frère parle de Dieu sur chacune des pages qu'il a écrites, avec les accents d'un véritable mystique original. C'est justement sur ce thème que je suis intervenu lors d'un symposium qui a eu lieu ici à Sibiu. Je vais vous citer un autre passage qui remonte à 1990 et qui a été publié en roumain dans la revue Agorà: "Personnellement, je crois que la religion va beaucoup plus en profondeur que toute autre forme de réflexion émanant de l'esprit humain et que la vraie vision de la vie est la vision religieuse. L'homme qui n'est pas passé par le filtre de la religion et qui n'a jamais connu la tentation religieuse est un homme vide. Pour moi, l'histoire universelle équivaut au déploiement du péché originel et c'est de ce côté-là que je me sens le plus proche de la religion".
Mutti: Parlons un peu des rapports entre Emil Cioran et les lieux de son enfance et de sa jeunesse. Vous demandait-il de lui parler de Rasinari et de Sibiu?
Aurel Cioran: Il se souvenait de choses que moi j'avais complètement oubliées. Un jour, il m'a dit au téléphone: "Je vois chaque pierre des rues de Rasinari". Pendant toute sa vie, il a conservé en son fors intérieur les images avec lesquelles il a quitté la Roumanie.
Mutti: Il n'a jamais manifesté le désir de revenir?
Aurel Cioran: Quand nous nous sommes séparés en 1937, il m'a dit, en avalant sa salive, dans le train: "Qui sait quand nous nous reverrons". Et nous ne nous sommes revus que quarante ans plus tard, mais pas dans notre pays. Il a toujours désiré revenir. En 1991, il a été sur le point de s'embarquer pour la Roumanie. C'est alors que la maladie l'a frappé, qu'il a dû rentrer à l'hôpital. Dans ces derniers moments, il a été contraint d'utiliser une chaise roulante. Il craignait forcément de voir une réalité toute autre, s'il était revenu. Et effectivement il y a eu beaucoup de changements; à Rasinari, la composition sociale a complètement changé: quasi la moitié des habitants du village travaillent à la ville, ce qui conduit forcément à un changement de mentalité. Tout est bien différent du temps où nous étions adolescents. A Rasinari, nous étions des gamins de rue, nous allions en vadrouille toute la journée à travers champs, forêts et rivières...
Mutti: ... et à Coasta Boacii.
Aurel Cioran: Oui, en effet, il évoquait sans cesse, avec énormément de regrets, ce paradis qu'était Coasta Boacii. "A quoi bon avoir quitté Coasta Boacii?", disait-il. Ensuite, il y avait ce pacage, près de Paltinis, où nous nous rendions tous les étés. Nous y restions un mois, dans une baraque tellement primitive, située dans une clairière où régnait une atmosphère extraordinaire.
Mutti: Vous avez été très proche de votre frère non seulement dans les années d'enfance mais aussi pendant votre adolescence et votre jeunesse. Parlez-moi de vos expériences communes...
Aurel Cioran: Nous assistions aux cours de Nae Ionescu à l'Université. Ce professeur était une figure extraordinaire! Beaucoup de gens venaient l'écouter et pas seulement des étudiants. Mon frère y retournait même après avoir quitté l'université, pour rendre visite au professeur. Un jour, dès que la leçon fut terminée, Nae Ionescu a demandé: "De quelles choses devrais-je encore parler?". Et mon frère, spontanément lui a répondu: "De l'ennui". Alors Nae Ionescu a prononcé deux leçons sur l'ennui. Par la suite, ses adversaires ne sachant plus quelles armes utiliser pour l'attaquer, parce qu'il était le maître à penser de toute la jeune génération d'intellectuels qui soutenaient le "Mouvement Légionnaire", ils l'ont accusé d'être... un plagiaire! Ce genre d'attaques est une manifestation infernale... L'oeuvre d'une mafia de criminels, qui a commencé par s'attaquer à Heidegger, puis à chercher à faire le procès d'Eliade...
Mutti: ... et même de Dumézil!
Aurel Cioran: Toujours sous prétexte d'antisémitisme. En Roumanie, à l'époque, il y avait bien sûr de l'antisémitisme, en réaction à l'arrivée massive d'un million de juifs venus de Galicie. En ce temps-là, c'était un véritable problème. Mais j'ai l'impression que cette manoeuvre visant à criminaliser Eliade, Noica et les autres intellectuels de la "jeune génération" produira des effets contraires à ceux désirés.
Mutti: Vous avez milité dans le Mouvement Légionnaire. Avez-vous connu Corneliu Codreanu?
Aurel Cioran: C'était un homme exceptionnel à tous points de vue. Il avait du charisme. J'ai souvent dit qu'il était un trop grand homme pour le peuple roumain, trop sérieux, trop grave. Il voulait une réforme radicale, basée sur la religion. Il était un esprit très intensément religieux. Il y a encore une chose qui m'impressionne profondément aujourd'hui: la manière dont le Mouvement Légionnaire abordait les problèmes économiques. Le Mouvement avait ouvert des restaurants, des réfectoires, où l'on vous servait un très bon repas, avec du vin en quantité limitée. L'idée qui me paraissait extraordinaire, c'est que les prix n'étaient pas fixés. Chacun payait selon ses propres moyens ou selon son bon plaisir.
Mutti: Où avez-vous connu le Capitaine?
Aurel Cioran: A Bucarest, parce que j'y étudiait la jurisprudence. Mais je l'ai rencontré deux ou trois fois dans un camp de travail légionnaire. C'était un homme exceptionnel à tous points de vue.
Propos recueillis à Sibiu le 3 août 1995 par Claudio Mutti et parus dans la revue Origini, n°13/février 1996
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