Toute idée devrait être neutre; mais l'homme l'anime, y projette ses flammes et ses démences : le passage de la logique à l'épilepsie est consommé... Ainsi naissent les mythologies, les doctrines, et les farces sanglantes. Point d'intolérance ou de prosélytisme qui ne révèle le fond bestial de l'enthousiasme. Ce qu'il faut détruire dans l'homme, c'est sa propension à croire, son appétit de puissance, sa faculté monstrueuse d'espérer, sa hantise d'un dieu.
SDM
Réédition du premier essai de Cioran (1949). Obnubilé par le déclin de l'Occident, considérant les idéologies et les doctrines comme des "farces sanglantes", cet auteur a sans doute droit au titre de premier "Nouveau philosophe". Une pensée lucide, cynique, qu'on comprend mieux en sachant que Cioran est d'origine roumaine. Percutant. Et quel style. Selon S. Jaudeau (en 1990), un livre très balkanique par ses outrances, son style baroque et son lyrisme révolté.
Précis de décomposition
Première édition: Paris, Éditions Gallimard, 1949
256 pages, 118 x 185 mm. Collection Les Essais (No 35).
ISBN 2070214567
Généalogie du fanatisme
Le fanatique, lui, est incorruptible : si pour une idée il tue, il peut tout aussi bien se faire tuer pour elle ; dans les deux cas, tyran ou martyr, c'est un monstre. Point d'êtres plus dangereux que ceux qui ont souffert pour une croyance : les grands persécuteurs se recrutent parmi les martyrs auxquels on n'a pas coupé la tête. Loin de diminuer l'appétit de puissance, la souffrance l'exaspère ; aussi l'esprit se sent-il plus à l'aise dans la société d'un fanfaron que dans celle d'un martyr ; et rien ne lui répugne tant que ce spectacle où l'on meurt pour une idée... Excédé du sublime et du carnage, il rêve d'un ennui de province à l'échelle de l'univers, d'une Histoire dont la stagnation serait telle que le doute s'y dessinerait comme un événement et l'espoir comme une calamité...